transcription.txt

LETTRES
DV
SIEVR
DE
BALZAC.
A PARIS,
Chez TOVSSAINCT DV
BRAY, ruë S. Iacques,
aux Eſpics-meurs.
M. DC. XXIIII.
Auec Priuilege du Roy.
ADVIS DE
L’IMPRIMEVR
au Lecteur.
OICY les premie¬
res œuures de Mon¬
ſieur de Balzac,
qui me ſont heu¬
reuſement tombées
entre les mains. Cognoiſsãt leur
excellence par le teſmoignage
de tant de bons eſprits qui les
ont admirées deuant moy, ie ſe¬
rois vn ingrat ſi ie ne les don¬
nois au public pour en profiter;
mais parce qu’il y a quelques
perſonnes qui trouuent à redire
ã ij
en toutes choſes, & qui n’exem¬
ptent pas meſme Horace & Vir¬
gile de leurs Cenſures, ie t’ad¬
uertis (Lecteur) de ne t'arreſter
pas à leur opinion, ſi tu ne veux
qu’on t'accuſe de foibleſſe, &
de ne reprendre pas auec eux in¬
continent, çe que tu trouue¬
ras au deſſus de la portée de ton
eſprit. Ce ſtile eſt ſi beau, ſi fort,
& ſi net, qu’il ſurpaſſe au iuge¬
ment des mieux ſenſez, l’elo¬
quence de tous les ſiecles, & ſi
tu t’efforces d'y chercher des de¬
fauts, tu ne ſeras pas quitte pour
eſtre eſtimé delicat, on dira que
tu es deſgouté.
ODE
SVR LES LETTRES
DE MONSIEVR DE
BALZAC.
Vperbes filles de me¬
moire,
Que Balzac Roy
des beaux eſprits,
Par ſes admirables eſcrits
Vous rauit d'honneur & de gloire!
Que ſes mots polis & dorez
Sont doux, nombreux, & meſurez!
Qu'il a des cadences remplies!
Et qu'en leurs ornements diuers,
Ses periodes accomplies
L'encheriſſent deſſus nos vers!
ã iij
ODE.
Lecteur qui prens trop de licence.
Regarde bien ce que tu fais;
Voicy les fruicts les plus parfaits
Qu'ait iamais produit l'eloquence.
Ce digne Autheur a merité
Les lauriers de l'eternité,
Il eſt ce qu'on dit que nous ſommes,
Nos vers qu'on flatte en tant de
lieux
Sont le pur langage des hommes,
Et le ſien eſt celuy des Dieux.
Mercure parlant ſur la terre
Vſoit de ces propos charmans,
Quand il portoit les mandemens
Du Dieu qui darde le tonnerre.
Apollon raiſonnoit ainſi,
Quand plein de l'amoureux ſoucy
Dont ſa belle ame eſtoit geſnée,
D'ingratitude il accuſoit
ODE.
Sur le riuage de Penee,
La Nymphe qui le meſpriſoit.
Rome qui fut ſi glorieuſe
Au temps de ſa grande beauté,
N’eut iamais tant de Maieſté
Dans ſa parole imperieuſe.
Balzac, tes diſcours releuez
Par ces caracteres grauez
Eſtonnent comme les miracles,
Et te croirais aſſeurement
Que ce ſeroient autant d’Oracle,
Si tu parlois moins clairement.
BOIS-ROBERT.
ã iiij
EXTRAICT DV
Priuilege du Roy.
PAr grace & Priuilege du Roy il eſt
permis à Tovssainct dv Bray,
Marchand Libraire iuré à Paris, d'impri¬
mer ou faire imprimer, vendre & distri¬
buer vn Liure intitulé, Lettres du sieur de
Balzac, & deffences ſont faictes à
tous Libraires, Imprimeurs, & autres de
ce Royaume, d’iceluy liure imprimer, con¬
trefaire ny alterer, vendue & diſtribuer
ſans le congé & permiſſion dudit du Bray,
pendant le temps & eſpace de dix ans, à
compter du iour & datte que ledit liure
ſera acheué d’imprimer pour la premiere
fois, à peine de mille liures d’amande en¬
uers ledit du Bray, confiſcation des liures
qui ſe treuuerõt auoir eſté imprimez d'au¬
tre impreſſion, que de celle dudit ſuppliãt,
auec tous ſes deſpens, dommages, & in¬
tereſts, ainſi que plus amplement eſt con¬
tenu & declaré eſdites lettres de Priuilege,
données à Compiegne le troiſieſme iour
de May, 1624.
Par le Roy en ſon Conſeil.
Signé,
RENOVARD.
MONSEIGNEVR
LE DVC D’ESPERNON;
LETTRE I.
Onseignevr,
Quand ie ne ſe¬
rois pas nay cõ¬
me ie ſuis, voſtre tres-hum¬
ble ſeruiteur, il faudroit que
ie fuſſe mauuais François
pour ne me reſioüir pas des
contẽtemens de voſtre mai¬
A
2 LETTRES DV SIEVR
ſon puis que ce ſont des feli¬
cités publiques. Nous auõs
ſçeu l'heureux ſuccés du
voyage que vous auez fait
en Bearn, & les grands com¬
mencemens que vous auez
donnez à tout ce que le Roy
voudra entreprendre: Et
certes le choix qu'il a fait de
vous pour le ſeruir en vne
occaſion de telle importan¬
ce a eſté ſi generalement ap¬
prouué, que ſi on remar¬
quoit auparauant quelques
deffaux en la conduite de
nos affaires, il faut auoüer
que cette derniere action a
iuſtifié toutes les autres, &
DE BALZAC. 3
qu’on voit bien que ce n’eſt
pas la ſeule faueur qui met
de la difference entre les hõ¬
mes. Ie ne doute point que
le bon droit & la puiſſance
ſe rencontrant du meſme
coſté, l’euenement des cho¬
ſes ne ſoit celuy que nous
deſirons; mais quoy qu’il ar¬
riue, vous auez deſia la gloire
d’auoir rendu la victoire ay¬
ſée, & fait voir que les enne¬
mis de l’Eſtat n’ont pas eſté
iuſques icy ſi conſiderables
par leurs propres forces, que
par l’opinion que nous en
auions conceuë Maintenãt
Monſeigneur, il eſt temps
A ij
4 LETTRES DV SIEVR
que vous recognoiſſiez les
auantages que Dieu vous a
donnés par deſſus le reſte
des hommes; Au moins
vous deuez vous ſouuenir,
qu’eſtant las des choſes du
monde, & eſloigné de la
Cour, la neceſſité publique
ne vous eût pas eſté cher¬
cher dans le repos de voſtre
maiſon pour vous mettre
entre les mains les armés du
Roy ſi vous n’eſtiez celuy-
là dont tout le monde attẽd
le reſtabliſſement de ſes af¬
faires. Ie ne me fie pas tant
en mon opiniõ, que ie veuil¬
le reſpondre de l'auenir:
DE BALZAC. 5
Toutesfois quand ie conſi¬
dere les actiõs de voſtre vie
qui ſont telles, que nous a¬
uons de la peine à les croire
apres les auoir veuës, & en
tel nombre, qu'il ſemble aux
eſtrangers que vous viuiez
dés le commencement de
noſtre Monarchie, ie penſe
pouuoir dire auec vérité,
que s’il y a encore quelque
choſe de grand à faire dans
le monde, il ne faut pas que
ce ſoit vn autre que vous qui
l’entreprene. Vous auez
poſſedé les bonnes graces
des Roys comme des biens
qui ſe peuuent perdre, &
A iij
6 LETTRES DV SIEVR
n’auez pas craint que leur
paſſiõ deuft plus durer que
voſtre innocence; cette grã¬
de authorité que vous auiez
acquiſe par voſtre faueur,
vous l'auez depuis touſiours
maintenue par voſtre cou¬
rage, Dans les mal-heurs du
temps & l'vſurpation de la
puiſſance legitime vous a¬
uez conſerué tout ſeul la li¬
berté de la France, Qui eſt-
ce qui peut dire cela de ſoy?
Où ſont ceux qui ſe ſont te¬
nus fermes entre la rebelliõ
& la ſeruitude? En quel tẽps
a t'õ veu vne vieilleſſe ſi ne¬
ceſſaire au monde, & tant
DE BALZAC. 7
de bonne & de mauuaiſe
fortune également glorieu¬
ſe? Monſeigneur, vous auez
trop de cognoiſſance de
vous meſme pour penſer
que ie vous flatte, & mon
humeur eſt ſi eſloignee de
toute action ſeruile, que la
Court n’a point aſſez d'eſpe¬
rance à me donner pour me
faire rien dire contre ma cõ¬
ſcience. Ie parle donc de la
ſorte pour le ſeul intereſt de
la vertu, & ſi elle n'eſtoit de
noſtre coſté, ie l’irois plu¬
ſtoſt chercher parmy les en¬
nemis, afin de luy rendre ce
qu’elle merite. Perſonne ne
A iiij
8 LETTRES DV SIEVR
croira que i’aye de preten¬
tion dans les armees du Roy
d’Eſpaigne, ny que ie veüil¬
le faire fortune en Hollan¬
de: & neantmoins ie louë le
Prince d’Aurãge, & le Mar¬
quis de Spinola, comme ſi
i’eſtois des deux partys con¬
traires-en meſme temps: En
effet, Monſeigneur, ie pen¬
ſe auoir de l'obligation à
ceux qui me donnent le
moyen de mettre enſemble
les deux plus rares choſes
du monde, c'eſt à ſçauoir la
verité & l’eloquence, Vous
m’auez touſiours fait l'hon¬
neur de me vouloir du bien,
DE BALZAC. 9
& i’ay reçeu vne infinité de
faueurs de Monſeigneur le
Cardinal voſtre Fils; mais
quoy qu’il en ſoit, ie vous
ſupplie de croire que mon
affection eſt toute pure, &
que mes intereſts ne ſe
meſlent point auec elle: i'ay
le contentement de vous a¬
uoir ſeruy en vne mauuaiſe
ſaiſon, & d’auoir eſté du
plus foible party, à cauſe que
ie croyois qu'il eſtoit le plus
honneſte: Depuis ce temps
la ie n'ay pas chãgé d'aduis,
& les raiſons qui m'ont por¬
té à faire ce que i’ay fait, eftãt
encore les meſmes. Ie ſuis
10 LETTRES DV SIEVR
veritablement comme i’ay
touſiours eſté.
MONSEIGNEVR,
Voſtre tres-humble & tres-
obeiſſant ſeruiteur.
BALZAC.
A Rome le 7. de
Iuin 1621.
11
A
MONSEIGNEVR
LE CARDINAL DE
LA VALLETTE.
LETTRE. II.
ONSEIGNEVR,
A la fin on vous
a rendu iuſtice,
& vous auez ce
que vous meritaſtes le iour
de voſtre naiſſance. S’il ſe
pouuoit rien adiouſter à la
qualité d’vn homme qui cõ¬
te des Roys entre ſes prede¬
12 LETTRES DV SIEVR
ceſſeurs, & dont les incli¬
nations ſont peut-eſtre trop
grandes pour viure ſous la
puiſſance d’vn autre, ie vous
cõſeillerois de vous reſioüir
de cette nouuelle; mais eſtãt
venu, cõme vous eſtes, de la
plus belle ſource du monde,
& nay d’vn pere dont la vie
eſt toute pleine de miracles,
c'eſt aſſez que vous pardon¬
niez à la fortune, de ce qu’il
a fallu que la necessité du
temps ayt obtenu d'elle ce
qu'elle deuoit à voſtre nom.
Ie ſçay bien qu'on vous dira
auiourd’huy que vous eſtes
fait Prince d'vn Eſtat qui
DE BALZAC. 13
n’eſt borné ny par les mers
ny par les montaignes, &
que l’eſtenduë de voſtre iu¬
riſdiction ſera telle, que s'il
y auoit pluſieurs mõdes, ils
en dependroient auſſi bien
que celuy-cy; Mais moy qui
ne me laiſſe eſblouyr les
yeux à d'autre eclat que ce¬
luy de la vertu, & qui ne re¬
garde pas ſeulement ce que
les hommes admirent, ſi ie
vous eſtimois plus grand &
plus heureux que vous e¬
ſtiez, ie n'aurois pas aſsez
profité aupres de vous en la
connoiſsance de vous meſ¬
mes. Il eſt vray qu’à l'opiniõ
14 LETTRES DV SIEVR
du vulgaire il y a de l’hon¬
neur d'eſtre le premier en v¬
ne ceremonie, & deporter
vn chappeau de meſme prix
que les coronnes, & les dia¬
demes: Toutesfois vous me
pardonnerez bien ſi ie vous
dis, que c’eſt vne choſe qui
n'obligera iamais vn hom¬
me ſage à vous porter de l'ẽ¬
uie; ſi vous n'auiez que ce
point la au deſſus de moy, ie
ſerois encore mon maiſtre,
& ie n'euſse pas pour l’a¬
mour de vous renoncé à la
liberté qui m'eſtoit auſſi
chere qu’a la Republique de
Venize. En effect de n’auoir
DE BALZAC.
15
point de Iuge en ce monde
que voſtre reputation &
voſtre conſcience, & de ti¬
rer apres vous vn grand peu¬
ple dont les vns trauaillent
aux plaiſirs de vos ſens, &
les autres à la conduicte de
vos affaires; cela vous ſera
touſiours commun auec be¬
aucoup de gens que vous
meſpriſez; mais de faire de
bonnes actions, quand vous
ſeriez aſſeuré qu’elles ne viẽ¬
droient iamais à la connoiſ¬
ſance du mõde, de ne crain¬
dre rien que les choſes des¬
honneſtes; de croire que la
mort n’eſt ny bonne ny
16 LETTRES DV SIEVR
mauuaiſe de ſoy-meſme,
mais que ſi l'occaſion de la
receuoir eſt honnorable, el¬
le vaut touſiours mieux
qu'vne longue vie: d'eſtre
en reputation de tenir ſa pa¬
role en vn temps où les
plus credules ne ſçauroient
faire dauantage, que de s'aſ¬
ſeurer ſur la foy publicque
c'eſt-ce que i’eſtime en
vous, Monſeigneur, & non
pas voſtre chappeau rouge,
& vos cinquante mille eſ¬
cus de rente. Ie vous diray
neantmoins que pour l’a¬
mour de Rome il faut que
vous faciez quelque Eſtat
d’vne
DE BALZAC. 17
d’vne choſe qu’elle vous en¬
uoye : Autre fois elle vous
eut dreſſé des ſtatues, &: dõ¬
né des occaſions de meriter
le triõphe; mais puis que ce
temps là eſt paſsé, & que ce
n’eſt plus par la force qu'elle
maintient ſon empire, en¬
core ſe faut-il contenter des
honneurs de la paix, & rece¬
uoir à faueur vne dignité
que le fils du Roy d’Eſpai¬
gne a deſirée. Quand ce ne
ſeroit que vous quitterez le
dueil pour vous habiller de
la couleur des roſes, vous
deuez vous reſioüir de ce
B
18 LETTRES DV SIEVR
changemẽt. A tout le moins
les obiects qui ſont les plus
proches de vos yeux ne ſe¬
ront pas funeſtes comme ils
eſtoient, & il n’y aura rien
ſur vous qui ne iette du feu
& de la lumiere. Ie vous en
dirois dauantage; mais le
courrier qui s’en va ne me le
veut pas permettre : Et d’ail¬
leurs ſçachant bien que ſi
vous eſtimés quelque choſe
dans mes lettres, ce n’eſt pas
le grand nombre des parol¬
les; ie doy mecontenter de
finir celle-cy apres vous a¬
uoir ſupplié de m’aymer
DE BALZAC. 19
touſiours, puis que ie ſuis
paſſionement.
MONSEIGNEVR,
Voſtre tres humble tres-
obeïſſant & tres-fidelle
ſeruiteur.
BALZAC.
A Rome le premier,
Feurier 1620.
B ij
20 LETTRES DV SIEVR
IE vous enuoye deux lettres
qui m'ont eſté données pour
vous faire tenir: l'vne du
Duc de Bauiere, & l'autre
du Cardinal de Lerme; vous
verreZ par-là, Monſeigneur,
que voſtre promotion à don¬
né de la ioye aux victorieux
& aux affligeZ, et qu'il
faut bien que le monde y pren¬
ne vn notable interest puis
qu'elle augmente les conten¬
temens des triomphes, &
qu'elle adoucit les chagrins de
la ſolitude.
21
AV MESME
LETTRE III.
ONSEIGNEVR,
Quelque ſubiet de
deſplaiſir que i'aye,
ie trouue dans vos lettres de
quoy me rendre heureux en
ma mauuaiſe fortune: La
derniere que i'ay reçeuë m’a
tellement obligé, que ſans
vne faſcheuſe nouuelle qui
me vint au meſme temps, ie
ſerois auiourd’huy en eſtat
d'auoir plus beſoin de mo¬
B iij
22 LETTRES DV SIEVR
deration que de patience,
Mais puis qu’en cette fatale
agitation de l'Europe, ce
n'eſt pas moy ſeul qui pleu¬
re quelque perte, & que
vous n’auez peu vous meſ¬
me ſauuer tout ce qui vous
eſtoit cher, i’aurois mauuai¬
ſe grace ſi ie voulois faire
paſſer mon intereſt deuant
le voſtre, & conſiderer mon
affliction particuliere en
ayant vne qui m’eſt cõmu¬
ne auecque vous. Il y a lõg¬
temps que ie ne meſure les
biens & les maux de ce mõ¬
de que par vos contente¬
mens & vos deſplaiſirs, &
DE BALZAC. 23
que ie vous regarde comme
ſi vous eſtiez toutes les cho¬
ſes que Dieu a faites: C’eſt
pourquoy, Monſeigneur,
ie mettray à part ce qui me
touche pour entrer dans
vos reſſentimens, & vous
dire, que puis que vous ne
pouuez faire de mauuaiſes
eſlections, il eſt certain qu'ẽ
la mort de vos amys vous
ne ſçauriez faire de petites
pertes. Toutesfois comme
vous eſtes eſleué au deſſus
des choſes du monde, &
que les hommes tirent des
exemples des moindres a¬
ctions de voſtre vie, ie m’aſ¬
B iiij
24 LETTRES DV SIEVR
ſeure qu’ils auront recon¬
gneu en cette occaſion qu’il
n’y a point d’accident à ſur¬
monter contre qui vous
ayez beſoin de toute voſtre
vertu. Les afflictions ſont
des dons de Dieu, encore
que ce ne ſoient pas de ceux
que nous luy demandons en
nos prieres; & quand vous
ne m'auoüeriez pas cette
propoſition, vous auez
toujours fait ſi peu d’eſtat
de la mort, que ie ne ſçau¬
rois croire que vous plai¬
gniez persõne pour eſtre en
vne condition que vous n’e¬
ſtimez pas mal-heureuſe
DE BALZAC. 25
c’eſt aſsez Monſeigneur, que
vous conſeruiez la memoi¬
re de ceux que vovs auez
aymez ſuiuant la proteſtatiõ
que vous m’en faites par vo¬
ſtre lettre; & certes ſi les
morts ſont quelque choſe,
comme perſonne n’en peut
douter, ils ne ſçauroient rien
regretter de ce monde dans
lequel ils ont encore vos
bonnes graces.
BALZAC.
A Rome le 29. Decembre
1621.
26
AV MESME.
LETTRE IV.
ONSEIGNEVR,
L'eſperãce qu'õ
me donne de¬
puis trois mois que vous de¬
ués paſſer tous les iours en ce
païs, m’a empeſché iuſques
icy de vous eſcrire, & de me
ſeruir de ce ſeul moyen qui
me reſte de m’approcher de
voſtre perſonne: Mais puis
que vous auez iugé que
de quitter la Cour tout
DE BALZAC. 27
d'vn coup ce ſeroit autant
que mourir de mort ſubite,
& qu’il ne faut pas moins
de force ny de temps pour
ſe reſoudre à laiſſer les cho¬
ſes plaiſantes, que pour ſur¬
monter les difficiles, ie re¬
prendray s’il vous plaiſt le
commerce que le bruit com¬
mun m’auoit fait ceſſer, &
ne croiray pas vne autre¬
fois que vous puiſſiez ſortir
de Paris plus ayſement que
l’Arçenac, & le Louure, ſi
ce n'eſtoit vn lieu tout plein
d’enchantemens & de chaiſ¬
nes, & qui a vne telle force
d'attirer & de retenir les hõ¬
28 LETTRES DV SIEVR
mes, qu’il a fallu donner des
batailles pour en chaſſer les
Anglois, & en eſloigner les
Eſpagnols, on pourroit s’e¬
ſtonner de la peine que vous
auez à vous en tirer. Mais il
eſt certain que tout le mon¬
de y treuue ſa maiſon, & ſes
affaires; & pour vous mon
Seigneur, puis qu'en ce pais
là les Rois naiſſent & deuiẽ¬
nent vieux & que c’eſt le ſie¬
ge de leur Empire, perſon¬
ne ne vous ſçauroit blaſmer
d’y demeurer trop long-tẽps
ſans vo9 accuſer d'aymer vo¬
ſtre Maiſtre, & de vouloir eſtre
pres de ſa perſonne. A Rome
DE BALZAC. 29
vous marcherés ſur des pier¬
res qui ont eſté les Dieux de
Ceſar & de Pompée: vous
conſidererez les ruines de
ces grands ouurages dont la
vieilleſſe eſt encore belle, &
vous pourmenerez tous les
iours parmy les hiſtoires &
les fables; Mais ce ſont des
amuſemens d’vn eſprit qui
ſe contente de peu, & non
pas les occupations d’vn
homme qui prend plaiſir de
nauiger dans l'orage, & qui
n'eſt pas venu au monde
pour le laiſſer en oyſiueté.
Quand vous aurez veu le
Tybre, au bord duquel les
30 LETTRES DV SIEVR
Romains ont fait l'appren¬
tiſsage de leurs victoires, &
commence ce grand deſſein
qu’ils n’acheuerent qu’aux
extremitez de la terre;
Quand vous ſerez monté au
Capitole, où ils croyoient
que Dieu eſtoit auſſi pre¬
ſent que dans le Ciel, & qu’il
auoit enfermé le deſtin de
la Monarchie vniuerſelle;
Apres que vous aurez paſſé
au trauers de ce grand eſpa¬
ce qui eſtoit dedié aux plai¬
ſirs du peuple, & où le ſang
des Martyrs a eſté ſouuent
meſlé auec celuy des crimi¬
nels & des beſtes, ie ne dou¬
DE BALZAC. 31
te point qu'apres avoir en¬
core regardé beaucoup
d’autres choſes, vo9 ne vous
laſſiez à la fin du repos &
de la tranquillité de Rome,
& que vous ne diſiez, que ce
ſont deux choſes qu'il faut
laiſſer à la nuict & aux cy¬
metieres: toutesfois ce n'eſt
pas mõ deſſein de vous deſ¬
gouter d’vn voyage que le
Roy vous a commandé de
faire, & duquel i'eſpererois
eſtre le guide ſi mon meſ¬
chant corps ſuiuoit le mou¬
uement de ma volõté: Mais
veritablemẽt, Mõſeigneur,
ie ſuis intereſſé en cette af¬
32 LETTRES DV SIEVR
faire, & quand ie me regar¬
de tout ſeul, i'aurois quel¬
que fois enuie de vous ren¬
dre ſuſpects les biẽs que i'ay
peur de ne pouuoir pas rece¬
uoir auecque vous; Quoy
que ie die pourtant, ie ne
m’ayme pas de telle ſorte,
que ie veuille preferer mon
contentement aux deſirs de
tout le monde, & aux ne¬
ceſſitez de l'Egliſe; Il eſt be¬
ſoin pour vne infinitè de cõ¬
ſiderations importantes que
vous ſoyez au premier Cõ¬
claue, & que vous vous
trouuiez à cette guerre, qui
ne laiſsera pas d’eſtre grande
pour
DE BALZAC. 33
pour eftre'compoſée de per¬
ſonnes deſarmées, pour
ne faire ny veufues ny or¬
phelins. Ie ſçay bien que
vous auez veu ailleurs de
plus dangereuſes occaſions,
& que vous auez ſouuuent
deſirè des victoires plus ſan¬
glantes. Mais neantmoins
quelque grand obiect que ſe
propoſe voſtre ambition,
elle ne ſçauroit rien conce¬
uoir de ſi haut que de don¬
ner en meſme temps vn ſuc¬
ceſseur aux Conſuls, aux
Empereurs, & aux Apo¬
ſtres, & d’aller faire de voſtre
bouche celuy qui marche
C
34 LETTRES DV SIEVR
ſur la teſte des Roys, & qui
commande à toutes les a¬
mes raiſonnables. Encore
que ma ſanté ſoit ſi peu aſ¬
ſurée, que ie ne m’en puiſſe
promettre trois iours de ſui¬
te, ie n'ay pas toutesfois per¬
du l’eſperance de vous voir
vn iour en ce païs là donner
des loix aux peuples du mõ¬
de, & faire de grands exem¬
ples de vos plus petites a¬
ctions. Peut eſtre Monſei¬
gneur, que Dieu me conſer¬
uera pour l'amour de vous,
afin que rien ne manque à
voſtre gloire, & qu'il y ayt
vn homme au monde qui
DE BALZAC. 35
puiſſe vous louer comme
vous le merités.
BALZAC.
Le troiſieſme
Iuin 1623.
C ij
36
AV MESME
LETTRE V.
ONSEIGNEVR,
Il falloit que ce
fût la plus gran¬
de affaire qui ſe traite au¬
iourd’huy dans le monde
qui vous pût obliger de qui¬
ter Paris, & vous n'en fuſſiez
pas party à moins que d’al¬
ler faire vne telle à toute la
Chreſtienté Si vous arriuez
aſſez-toſt pour auoir part à
DE BALZAC. 37
cette grand'election, & que
le Conclaue vous attende
afin de donner plus de repu¬
tation & d’autorité à ce
qui s’y reſoudra; ie ne dou¬
te point que vous ne conſer¬
uiez ſur les eſprits d’Italie l'a¬
uantage que vous auez ſur
les noſtres, de que leurs fi¬
neffes ne ſoient auſſi oyſiues
en voſtre preſence, que les
charmes des magiciens ſont
foibles deuant les choſes di¬
uines. Vous avez de leur pa¬
tience ce quil en faut pour
laſſer les affaires quand il eſt
beſoin, mais vous auez vn
courage qu’ils n’ont pas
C iij
38 LETTRES DV SIEVR
pour les emporter de forçe
ſi la neceſſité le deſire: Et
partant, Monſeigneur, de
quelque opinion que vous
ſoyez, vous porterez auec¬
que vous ce qui gaigne les
victoires, & ce qui fait ve¬
nir la plus grande partie du
coſté de la meilleure: Quand
meſme les choſes ſe paſſe¬
roient ſans eſtre conteſtées,
à tout le moins vous apprẽ-
drez qui vous eſtes en cette
action, où Dieu vous laiſſe
tenir ſa place, & ſe repoſe ſur
vous du plus important de
ſes ouurages: A n’en mentir
point, ſa prouidence n’eſt ia¬
DE BALZAC. 39
mais ſi hautement occupée,
que quand il faut choiſir ce¬
luy qui doit vſer bien ou
mal de toutes les richſſes du
Ciel, & exercer vne puiſsan¬
ce qui eſt la plus proche de
l’infinie. Autresfois en de
moindres occaſions Dieu ſe
ſeruoit pour parler aux hõ¬
mes, de la foudre & des ora¬
ges, & declaroit ſa volonté
par d'autres moyens que
ceux qui ſont ordinaires,
mais deſpuis qu’il a fait ceſ¬
ſer les Oracles, & laiſsé agir
le tonnerre naturellement,
ce n’eſt plus que par la voix
des Cardinaux qu’il fait en¬
C iiij
40 LETTRES DV SIEVR
tendre ce qu’il deſire, &
qu’il ordonne de la condui¬
te du monde: Quand il
vous plairra, Monſeigneur,
ie ſcauray les inſpirations
qu’il vous a enuoyées, & l’e¬
lection que vous auez faite,
car de l’aller apprendre ſi
toſt ſur les lieux, il faudroit
qu’il n’y euſt point de ſeureté
pour moy en ce Royaume,
& que ie ne connuſse pas cõ¬
me ie fais, le Soleil de Rome.
Celuy qui noirçit les Mores,
& qui bruſle la Lybie n’eſt
point ſi dangereux en cet¬
te ſaiſon, & ſi vous n’auiez
des threſors de neige, & des
DE BALZAC. 41
ſalles de marbre pour vous
deffendre du Ciel, i'ayme¬
rois autant eſtre condamnè
au feu que de demeurer au
lieu où vous eſtes; Toutes¬
fois ce m'eſt pas vous à qui
on doit faire peur de ces
choſes là; vous n’auez garde
de trouuer mauuais l’air
qu'a reſpiré toute l’ancienne
Republique, ny le Soleil
qui a aydé à faire tant de con¬
querans, & eſclairé de ſi be¬
aux triomphes: Mais pour
moy qui n’ay pas ces conſi¬
derations, & qui me ſuis mis
tout entier en la puiſſance
de la medecine, il faut que
42 LETTRES DV SIEVR
ie fuye l'ombre meſme du
danger, & que ie viue dans
le monde auec autant de
crainte qu'en vn pais d'en¬
nemis, où vne foreſt de be¬
ſtes ſauuages. C'eſt donc de
pure neceſſité que i’attens i¬
cy vos commandemens, &
vne meilleure ſaiſon pour
vous aller teſmoigner ſans
courre fortune de la vie, que
ie ſuis de toute mon ame.
MONSEIGNEVR,
Voſtre tres-humble & tres-
obeïſſant ſeruiteur.
BALZAC.
Le I. Aouſt
1623.
43
A
MONSEIGNEVR
LE CARDINAL DE
RICHELIEV.
LETTRE. VI.
ONSEIGNEVR,
C’eſtoit mon
deſſein arriuant
en France de vous
aller trouuer au lieu où vous
ſeriez pour auoir l’honneur
de vous voir, mais ma ſanté
n'ayant pas eſté telle qu'elle
me puiſſe encore laiſſer la li¬
bre diſpoſition de moy meſ¬
44 LETTRES DV SIEVR
me, ie ſuis contraint de dif¬
ferer mon contentement, &
d’enuoyer chercher de vos
nouvelles en attendant que
i’en aille apprendre. Afin ce
pendant de me ſoulager l’eſ¬
prit, ie les veux eſperer auſſi
bonnes que ie les ſouhaite,
& m’imaginer que ceſte co¬
lique dont on m'a fait peur,
ſe ſera noyée dans les fontai¬
nes de Pougues. Cela certes
eſt ſi generalement deſiré, &
demandé à Dieu partant de
bouches, que ie croy qu’il
ne l’aiſſera pas imparfaite en
ce point la felicité qu’il pre¬
pare à noſtre, temps, & qu’il
DE BALZAC. 45
ayme trop le monde pour
le vouloir priuer du bien que
vous y deuez faire; les armées
ayant eſté deffaites, il s’en
remet de nouuelles ſur pied,
& on peut equiper vne ſe¬
conde flotte apres que la
premiere s'eſt perduë; Mais
s’il venoit faute de vous,
Monſeigneur, le monde ne
dureroit pas aſsez pour re¬
parer vne telle perte, & il
faudroit que le Roy la pleu¬
raſt au milieu meſme de ſes
triomphes: Il a bien vn
Royaume qui ne le ſçauroit
eſpuiſer d’hommes; la guer¬
re luy fait tous les iours des
46 LETTRES DV SIEVR
Capitaines, le nombre des
Iuges n'eſt gueres moindre
que celuy des Criminels:
c’eſt ſeulement de gens ſa¬
ges, & capables de gouuer¬
ner les Eſtats que la ſterilité
eſt grande: Et ſans mentir,
pour en voir encore vn pa¬
reil à vous il eſt beſoin que
toute la nature travaille, &
que Dieu le promette long-
temps aux hommes auant
que de le faire naiſtre. Ie ne
dis rien, Monſeigneur, dont
ie ne face des ſermens pour
preuue de ma creance, &
que ie ne confirme par le
propre teſmoignage de vos
DE BALZAC. 47
ennemis. Il eſt certain que
l’authorité des Roys n’eſt
point ſi ſouueraine que celle
que vous exercez ſur l'ame
de ceux qui vous eſcoutent;
Vous auez vn eſprit tout
puiſſant, qui eſt touſiours
occupé aux grandes choſes,
& qui le delaſſe dans les af¬
faires communes: Vous e¬
ſtes deſtiné pour remplir la
place de ce Cardinal qui fait
auiourd’huy vne des belles
parties du Ciel, & qui n'a
point eu encore de ſucceſ¬
ſeur quoy qu’il ayt eu des
heritiers & des freres. Et ce¬
la eſtant, qui doute qu'il ne
48 LETTRES DV SIEVR
falluſt faire des prieres gene¬
rales pour vne ſanté li neceſ¬
ſaire & ſi precieuſe que la
voſtre, & que voſtre vie ne
vous doiue eſtre chere, dans
laquelle vous auez à conſer¬
uer la gloire de voſtre ſiecle?
Pour moy, Monſeigneur,
qui ſuis attaqué de tous co¬
ſtez, & à qui il ne reſte que
l'eſperance qui eſt le ſeul biẽ
de ceux qui n'ont pas les au¬
tres, puis que mõ mal-heur
veut que ie ſois cette victi¬
me publique qui doit eſtre
chargée des peines du peu¬
ple, & payer pour tout le
monde, ie ſerois tres-content
que
DE BALZAC. 49
que vous puiſſiez m'enuoyer
voſtre colique, & qu’elle ſe
vint ioindre à la fieure, à la
ſciatique à la grauelle:
Auſſi bien de tant de dou¬
leurs il ne le ſçauroit faire
qu’vne mort, & il n'eſt plus
temps d’eſtre meſnager des
choſes qui ſont deſia per¬
duës. Mais ie ne veux pas en¬
trer en ce diſcours donc ie
ne pourrois pas trouuer la
fin, & ie n’ay que faire de
vous dire que c’eſt le plus
mal-heureux homme du
monde qui vous honnore
de peur que vous ne reiet¬
tiés mon affection comme
D
50 LETTRES DV SIEVR
vne choſe funeſte, & qu’il
ne me ſerue de rien de vous
proteſter que ie ſuis.
MONSEIGNEVR,
Voſtre tres-humble, &
tres-affectionné ſerui¬
teur.
BALZAC.
Le 4. Septembre
1622.